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Quand le ministère de la Santé accapare 42% des revenus de l’État, comme c’est le cas au Québec, il est inévitable que la santé occupe une place centrale dans les campagnes électorales. Il n’est cependant pas fatal que le débat porte d’élection en élection exclusivement sur les mêmes thèmes : réduction de l’attente à l’urgence, accès à un médecin de famille, hausse des coûts du système plus élevée que celle des nouveaux investissements publics, importance accrue du secteur privé.
La conjoncture internationale nous invite cette année à soulever de nouvelles questions, les unes plus fondamentales que les questions habituelles, les autres plus concrètes. Cet article s’inscrit dans un dossier sur la santé portant sur la main basse de l’industrie médicale, du Big Pharma en particulier, sur la recherche médicale aussi bien que sur la prescription des médicaments. Voici quelques titres d’articles que peuvent lire ceux de nos lecteurs qui doutent encore de la gravité de la crise que traverse la médecine: Le mouvement de libération de la médecine, Homo Statinisus
La médecine sous influence du Big Pharma est-elle, comme le pense le médecin danois Peter Gøtzsche,« la troisème cause de mortalité après le cancer et les maladies cardiaques?» Est-elle plutôt la cinquième ou la quatrième cause? Laissons le débat sur ces chiffres se poursuivre. «Le médecin français Philippe Even a-t-il raison d’affirmer que 50% des médicaments prescrits sont inutiles et dangereux?» N’est-il que de 40%? Nous pouvons être sûrs qu'’il est trop élevé.
La question soulevée ici comporte une dimension positive qui est absente des thèmes habituels. Il ne s’agit pas d’injecter de l’argent neuf dans le système, mais de libérer bien portants et malades du poids des effets secondaires de médicaments inutiles. Il se trouve qu'en les libérant de ce poids, on peut faire des économies pouvant être reportées sur le soutien à l’autonomie des personnes âgées.
Nous nous limiterons ici à un exemple, celui des statines. Voici ce qu'on peut lire dans le document PDF du docteur Pierre Biron consacré exclusivement aux statines, ces médicaments contre le cholestérol connus du public sous les noms de Pravachol, Crestor, Lipitor…
« Selon le cardiologue Martin Juneau (Montréal) il se prescrit pour des millions de dollars de statines en trop au Québec annuellement, car seules 20% des ordonnances sont vraiment indiquées, i.e. permettraient de réduire les événements coronariens de manière cliniquement significative. Pour le reste, il s’agit de surprescription » ‘’ Il est vrai que des milliers de médecins prescrivent des statines inutiles et très dangereuses’’ *
En 2009, ajoute Pierre Biron, les médecins québécois ont prescrit 9 813 400 ordonnances de statines selon la RAMQ; en 2010 c’était 10 671 043, en 2011 on était rendu à 11 468 826, en 2012 on a atteint le chiffre de 12 207 203 et la tendance continue en 2013 avec 12 775 483 soit 7,7% de toutes les prescriptions au Québec. Si seules 20% des ordonnances sont vraiment indiquées, c’est 10 220 384 prescriptions inutiles durant l’année 2013.»
En France, 6 millions de bien portants sont soumis au régime des statines. La facture payée par la sécurité sociale s’élève à 2 milliards d’euros. À combien s’élève la facture payée par les Québécois et leur gouvernement? Voici les chiffres que nous avons pu obtenir : En 2012-13, les statines ont coûté 1,643,000$ aux Canadiens. Le per capita (ajusté pour l’âge) a été au Québec plus élevé de 45,9% que dans le reste du Canada. C’est aussi au Québec que l’on choisit le moins la variante générique (beaucoup moins chère) ce qui gonfle la facture de 13.3 %. Le per capita au Québec étant de 65,13 et la population en 2012 de 8,081 la facture totale pour les statines serait donc de 526,315 millions. (Source)
Votre parti est-il prêt à s’engager à tout mettre en œuvre pour que cette dépense nuisible soit réduite progressivement de 80% sinon de 97%? Voilà un bel exemple des questions qu'il faut poser à tous les partis politiques. Pour tenir compte des prescriptions indiquées selon le docteur Martin Juneau, enlevons 20% au total de 526,315 000 $. Il reste 421 052 000 $, à peu de chose près, la somme dont notre ministre de la Santé a besoin pour équilibrer son budget. Il est vrai que l’assurance médicaments ne paie que 58% du coût des médicaments, soit 244, 210, 160, économie non négligeable par les temps qui courent.
On imagine mal le Parti libéral, dominé par le trio médical Couillard-Bolduc-Barrette, s’engageant dans une croisade contre le Big Pharma.
Ne serait-ce qu'en raison de sa politique centrée sur l'autonomie, le ministre Réjean Hébert devrait s’engager dans ce que nous avons appelé ailleurs le mouvement de libération de la médecine, mais aurait-il l’appui de son parti? Belle occasion pour la CAQ et Québec solidaire de se faire les champions d’une cause qui sera populaire demain, si elle ne l’est pas déjà!
Urgente pour protéger la santé des gens et du même coup la médecine contre elle-même, la réforme radicale que nous réclamons l’est aussi pour des raisons politiques d’un autre genre. En 2030, selon les prévisionsd’un groupe d'économistes, le coût de la santé accaparera au Québec 69 % des revenus de l’État en 2030. Ce qui veut dire que la baisse des investissements dans les autres services, à commencer par l’éducation, aura rapidement des effets catastrophiques sur la santé elle-même. Il existe un pic financier dans les États. On l’atteint lorsque les sommes consacrées à un poste, la santé en ce moment, atteint un pourcentage tel que l’ensemble de la vie se dégrade et ultimement, la santé elle-même. Au Québec, avec 42% du budget consacré à la santé, ce point nous l’avons sans doute déjà dépassé!
Et cela accroît dangereusement notre dépendance à l’endroit du fédéral. Si Ottawa veut laisser le Québec s’embourber, il lui suffit de conserver la main haute sur les paiements de transfert en santé dont la progression sera plafonnée en-dessous du taux réel de croissance des soins de santé. Le Québec aura de moins en moins de moyens de financer ses activités en dehors de la santé; il risque à terme de devenir une grosse régie de santé, s’occupant à la marge d’autres choses, avec des moyens de plus en plus limités.
Dans la mesure où il aspire à l’indépendance, ce même Québec a une raison de plus d’opérer la grande réforme, laquelle devra comporter une dimension philosophique. Une population sous antidépresseurs ne songe qu'à se réfugier dans le confort et l’indifférence. Le jugement du docteur Henri Pradal, formulé en 1975, a conservé toute sa vérité :«Les tranquillisants apparaissent donc comme des agents extrêmement efficaces de stabilisation sociale, puisqu'ils déconnectent les personnes et tissent autour d'elles une gangue immatérielle mais parfaitement isolante et protectrice. Atténuant les pulsions critiques, assouplissant la rigidité des comportements, réduisant à presque rien les impatiences et les revendications, les tranquillisants font plus, pour le maintien de ce qui est, que toutes les forces d'information et de police.»1
Le ministre de la Santé du Québec, le docteur Réjean Hébert, s’engage dans la bonne voie quand il propose une assurance autonomie devant permettre d’accroître «la part de liberté malgré la perte d’autonomie». Quand on ne peut plus marcher, il vaut mieux se déplacer en fauteuil roulant et disposer d’un ascenseur dans sa maison plutôt que de ne plus quitter son lit et de chercher consolation dans des tranquillisants. Mais pour qu'une telle politique prenne tout son sens, pour qu'elle soit cohérente, il faudrait que le souci de l’autonomie se manifeste à tous les âges de la vie, et d’abord dans l’enfance.
L’enfant que l’on met au ritalin avant de l’avoir aidé à se discipliner par lui-même est déjà en perte d’autonomie et cette perte d’autonomie s’aggravera chaque fois qu'il préférera une solution extérieure à un effort intérieur pour régler un problème. Si l’orientation vers l’autonomie ne commence pas très tôt et si on ne garde pas le cap vers elle, il y aura de plus en plus de personnes âgées en perte d’autonomie et les soins qu'il faudra offrir à ces personnes deviendront un nouveau gouffre financier. Vue sous cet angle, notre civilisation matérialiste et technicienne est une vaste conspiration contre l’autonomie, ce qui nous oblige à prendre acte du fait que la question fondamentale en matière de santé est d’ordre philosophique. Voulons-nous vraiment, comme tant de nos comportements l’indiquent, ressembler au cosmonaute; être branchés en permanence sur une tour de contrôle médical? Ou voulons-nous plutôt être autonomes le plus longtemps possible comme la médecine pourrait nous aider à le faire si elle évitait de faire entrer les bien portants dans sa sphère d’influence pour accroître ses ventes?
Bonne nouvelle! La réforme que nous appelons de nos vœux et qui est si bien lancée ne peut s’achever que sous le signe de l’autonomie. L’information en est la première condition. Hélas! si riches que soient les sources scientifiques, la critique de la médecine sous influence du Big Pharma n’est pas encore organisée, elle ne constitue pas un pouvoir comparable à celui des associations d’écologistes, par exemple. Les associations de malades pourraient jouer ce rôle, mais elles sont pratiquement toutes, elles aussi, sous l’influence du Big Pharma. Et leurs interventions consistent le plus souvent à faire la promotion de médicaments très coûteux et peu efficaces, tel le Zaltrap de Sanofi, utilisé dans le traitement du cancer du colon, qui coûte 10,000 $ par mois pour un rallongement de l’espérance de vie de 1 mois et demi.2
Il existe déjà dans de nombreux pays des organismes chargés de l’évaluation des technologies et des médicaments. Un tel organisme existait au Québec, il a été absorbé par l’Inesss (Institut pour l’excellence en santé et en services sociaux). Il faudrait élargir le mandat de l’Inesss au point qu'il englobe la critique des procédés de mise en marché de l’industrie médicale, ainsi que de l’information médicale diffusée par les médias et les associations de malades, lesquelles jouent souvent le jeu des compagnies pharmaceutiques. Il faudrait aussi qu’il s’adresse à tous les professionnels de la santé de même qu’au grand public. En ce moment l’État payeur est un État gobeur.
Un organisme comme l’Inesss, qui n’a pas de compétence particulière dans les communications, ne pourrait jouer un rôle utile que dans le cadre d’un plan national de communication, en matière de santé, mais quel État oserait aujourd’hui se mettre à dos l’ensemble de l’industrie pharmaceutique?
Il nous faut donc créer un nouvel organisme ayant un mandat aussi large que celui que nous venons de proposer pour l’Inesss. Il suffirait pour ce faire de rassembler dans une même association les individus et les groupes qui font déjà ce travail isolément et sans concertation. Un tel organisme, composé de citoyens ordinaires et de professionnels de la santé pourrait être créé immédiatement et travailler dès le début avec des partenaires étrangers, comme la revue Prescrire en France. On pourrait l’appeler Association santé autonomie.
1-Henri Pradal, Les grands médicaments, Éditions du Seuil, Paris 1975, p.227
2-Mikkel Borch-Jacobsen, La vérité sur les médicaments, Gallimard, Paris, 2014, p.100.