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Cette transformation, ou plutôt ce glissement inaperçu de la notion de rythme, permet de mieux comprendre le projet maussien d’anthropologie totale, incarné dans le concept de « fait social total », et de le distinguer clairement de ses interprétations postérieures, tout particulièrement de celle de Lévi-Strauss, mais aussi de celle développée, toujours sans aucune mention du rythme, par Alain Caillé.
Dès 1904, Mauss et Hubert notent le lien que constitue le rythme entre les incantations magiques et les corps : « Loin d’être une simple expression individuelle, la magie contraint à chaque instant les gestes et les locutions. Tout y est fixé et très exactement déterminé. Elle impose des mètres et des mélopées. Les formules magiques doivent être susurrées ou chantées sur un ton, sur un rythme spécial » 1. En 1909, Mauss montre le caractère « musical, rythmique et mélodique de toute formule rituelle archaïque » 2. Le chant qu’elle constitue est « fortement lié au rythme manuel, auquel il est asservi, puisqu’il n’a d’autre fonction que de le rythmer et de le diriger » (p. 463). Ce chant qui, parce qu’il est rythmé, est déjà en lui-même un geste, se continue dans le geste rythmique : « Il peut se poursuivre tel un geste stéréotypé quand la danse de l’acteur fatigué cesse [...]. La mesure que l’on continue à battre avec les bâtons de musique (tnuma) constitue au moins un geste rituel » (p. 463). Et c’est sur cette liaison de la formule rituelle et du corps par l’intermédiaire du rythme que Mauss conclut son analyse des formules rituelles : « Toutes les formules que nous rencontrerons dorénavant sont : I. EN CE QUI CONCERNE LA FORMULE RITUELLE : 1. musicales c’est-à-dire mélodiques et rythmiques ; 2. directrices des gestes, mimes ou danses » (p. 466). Dans son cours de 1922-23, Mauss pousse encore plus loin cette relation : « Une étude approfondie du “corrobori” australien (drame musical) en a montré le caractère public dans toutes ses parties ; les recherches sur la nature des rythmes, sur l’emploi des mots altérés, usés, sur le rapport de la musique, des mots et des gestes mimés ou de la simple danse, en ont montré non seulement le caractère social, mais l’effet uniforme sur les organismes des acteurs agissant en groupe, et des auditeurs participant au chant » 3.
À ces niveaux inférieurs de l’ensemble complexe de signifiants que constitue le rythme, on doit ajouter d’autres prolongements extra-linguistiques qui s’étendent cette fois vers le social. En 1903, réfléchissant sur les origines de la poésie, Mauss définit ainsi la société comme une communauté animée des mouvements rythmiques du chant et de la danse rituels : « Le choral primitif suppose, non seulement un groupe d’hommes, mais encore un groupe d’hommes qui concentrent leurs voix ainsi que leurs gestes, qui forment une même masse (throng) dansante. La communauté animée de mouvements rythmiques, voilà la condition immédiate, nécessaire et suffisante de l’expression rythmique des sentiments de cette communauté » 4. En 1904, l’étude sur la magie aboutit à la même conclusion. Le rythme magique ne se limite pas aux incantations verbales et musicales, mais mobilise l’ensemble des corps pour les mettre ensemble dans un vaste mouvement : « Chez les Dayaks [...] quand les hommes sont à la chasse aux têtes, les femmes portent des sabres [...] tout le village (..) doit se lever tôt parce qu’au loin le guerrier se lève tôt [...]. Tout le corps social est animé d’un même mouvement. Il n’y a plus d’individus. Ils sont, pour ainsi dire [...] les rayons d’une roue dont la ronde magique dansante et chantante serait l’image idéale » 5. En 1909, dans l’étude sur la prière, le rythme de la prière individuelle se prolonge dans son contexte social. Le chant rituel « sert à accompagner la danse d’un acteur ou d’un petit nombre de mimes » 6. Les prières sont « collectivement chantées » (p. 466). En 1921 : « Ce ne sont pas de simples mots et de simples actes, ce sont des poésies et des chants et des mimes. Dans les uns et les autres, il y a le même élément collectif : le rythme, l’unisson, la répétition »7.
Ainsi le rythme, parce qu’il met en continuité les corps et le social, participe-t-il à la reproduction de la cohésion du groupe que forment ces corps. Ce phénomène est particulièrement sensible dans le cas de la poésie des groupes primitifs : « Alors le langage devient naturellement rythmé parce que le rythme est le seul moyen d’établir un concert juste des différents efforts vocaux » 8. Mais plus loin, il note, dans un préfiguration de la notion meschonnicienne de « sujet poétique », que le rythme a gardé aujourd’hui ce caractère à travers l’extension de l’expérience toujours limitée du chant collectif rituel à l’activité poétique : « Le rythme remplit encore, pour le poète individuel qui écrit en vue d’être lu, une fonction analogue à celle qu’il remplissait autrefois, dans la masse homogène primitive où tout le monde était à la fois poète et auditeur. Il est toujours une règle, une chose sociale ; il est la condition même de cette sympathie que crée la poésie dans un ensemble d’hommes » (p. 255, c’est nous qui soulignons). Bien des années plus tard, Mauss étend encore cet aspect du rythme dans un aparté, comme souvent chez lui inattendu mais éclairant, à propos de la place de la sociologie appliquée. Le politicien, explique-t-il, doit faire, lui aussi, la preuve de « son habileté à manier les formules, à “trouver les rythmes” et les harmonies nécessaires » 9. Ainsi l’action politique est-elle dans une position sociologique analogue aujourd’hui à la poésie et au chant rituel des sociétés archaïques. Elle doit, si elle veut réussir, créer des rythmes qui soient en phase avec les rythmes sociaux 10.
En 1924, Mauss rassemble ces remarques dans un texte qu’il consacre aux « rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie » et où il vise, pour la première fois explicitement, à inscrire la sociologie dans une vaste anthropologie qui irait du vivant à la société, en passant par les carrefours stratégiques que constituent les individus singuliers et collectifs 11.
La sociologie peut, dit-il, servir de modèle à la psychologie pour l’étude de deux ordres de faits : le symbole et le rythme – notons que les deux notions sont mises par Mauss exactement sur le même plan. Pour ce qui concerne le premier, sur lequel tout le monde s’appesantit répétant un air déjà ancien, le commentaire de Mauss est, malgré l’apparence, assez peu novateur. Il note que la sociologie est sans cesse confrontée au symbolisme : dans la magie et le rituel, avec les onomatopées et les gestes arbitraires, mais aussi dans l’étiquette et la morale, avec les cris et les mots, les gestes et les rites, ou encore dans la vie des échanges, avec les saluts et les présents échangés, c’est toujours de symboles dont il est question 12. Mais ces symboles, affirme-t-il en revenant au modèle du signe, « sont des traductions » qui « traduisent d’abord la présence du groupe », et aussi « les actions et les réactions des instincts de ses membres, les besoins directs de chacun et de tous » (p. 300).
Cette conception assez floue du symbole, qui conserve encore une bonne part du dualisme sémiotique traditionnel mais qu’on met encore couramment et scolairement au centre de la pensée maussienne, est en revanche accompagnée d’une conception du rythme qui reprend ses remarques éparses et qui remet ce dualisme en question. La dimension symbolique ne doit, en effet, pas être séparée pour Mauss de la dimension rythmique des faits sociaux sur l’importance de laquelle il insiste auprès de ses auditeurs : « Passons au rythme. C’est un fait capital dont je vous ai déjà parlé » (p. 300). Il prend, tout d’abord, l’exemple de la danse : « N’est-il pas évident, par exemple, si l’on étudie [...] la danse, qu’elle correspond d’une part à des mouvements respiratoires, cardiaques et musculaires identiques chez tous les individus, souvent partagés même par les auditeurs, et qu’en même temps elle suppose et suit une succession d’images ; cette série étant elle-même celle que le symbole de la danse éveille à la fois chez les uns et chez les autres » (p. 301). À propos du chant, il remarque également : « Si nous considérons dans le rythme – et aussi dans le chant – l’un de ses effets : sa hantise, la façon dont il poursuit ceux qui en ont été impressionnés, n’arrivons-nous pas au même résultat ? » (p. 301). Souvent la danse et le chant concourent simultanément au même effet : « Dans des danses, souvent accompagnées d’un simple cri indéfiniment hululé, ou de quelques vers à peine d’un chant très simple, pendant des jours et des nuits, des groupes souvent considérables recherchent à la fois : et l’activité, et la fatigue, et l’excitation, et l’extase » (p. 301). Par sa fréquentation assidue des rythmes, la sociologie, loin de reprendre le dualisme sémiotique, est ainsi en contact avec des phénomènes où le biologique, le psychologique et le social se rencontrent et se nouent.
À partir des années 1920, Mauss voit donc dans le rythme un ordre de faits où sont mises en jeu toutes les dimensions anthropologiques à la fois : « Wundt en avait déjà senti l’importance, et sa nature à la fois physiologique, psychologique et sociologique » (p. 301). De l’exemple de la danse, il conclut : « Ici encore, c’est l’union directe du sociologique et du physiologique que nous saisissons et non pas simplement du social et du psychologique » (p. 301). À propos de l’unisson : « Là encore, le social, le psychologique et le physiologique lui-même coïncident » (p. 301). Le projet d’une anthropologie totale, qui relierait le biologique, le social et le psychologique, se dessine ainsi autour de la notion de rythme tout autant que de celle de symbole : « En réalité, dans notre science, en sociologie, nous ne trouvons guère ou presque jamais même, sauf en matière de littérature pure, de science pure, l’homme divisé en facultés. Nous avons affaire toujours à son corps, à sa mentalité tout entiers, donnés à la fois et tout d’un coup. Au fond, corps, âme, société, tout ici se mêle » (p. 303).
Plus loin : « C’est toujours, au fond, à l’homme complet que nous avons affaire, je vous l’ai déjà dit. Par exemple rythmes et symboles mettent en jeu, non pas simplement les facultés esthétiques ou imaginatives de l’homme, mais tout son corps et toute son âme à la fois. Dans la société, même 13. quand nous étudions un fait spécial, c’est au complexus psycho-physiologique total que nous avons affaire » (p. 305). Et Mauss conclut en 1924, anticipant sur le petit exposé théorique qu’il fera l’année suivante dans l’Essai sur le don : « Ce ne sont plus des faits spéciaux de telle ou telle partie de la mentalité, ce sont les faits d’un ordre très complexe, le plus complexe imaginable, qui nous intéressent. C’est ce que je suppose d’appeler des phénomènes de totalité où prend part non seulement le groupe, mais encore, par lui, toutes les personnalités, tous les individus dans leur intégrité morale, sociale, mentale, et, surtout, corporelle ou matérielle » (p. 303). L’ensemble de ces remarques montre que c’est très probablement dans la notion de rythme qu’a pris racine le concept de « fait social total » autour duquel tournent toutes les interprétations de sa pensée. Or, cette généalogie oubliée ou refoulée en change considérablement les conditions de compréhension. La totalité dont il y est question doit être vue, non pas seulement comme le concevait Durkheim, de manière purement logique comme englobement social ultime, ni à l’instar de Lévi-Strauss, comme la totalité sociale prise dans la synchronie, et à laquelle il faudrait « faire coïncider » une « dimension historique » et une « dimension psychophysiologique » 14, mais surtout comme une totalisation anthropologique, subjective et sociale à la fois, s’effectuant par le mouvement qui l’anime. Il ne s’agit pas d’un tout classificatoire, ni d’une structure, mais d’un système en fonctionnement – d’un système rythmique. Ce qui intéresse Mauss n’est plus de savoir comment le sacré peut représenter et réaliser l’unité de la société, ni comment des structures sociales forment un réseau inconscient de conditions de possibilité qui guident l’expérience d’un individu, mais de dresser le portrait systémique de sociétés et de types de personne particuliers, vivant et se perpétuant au travers de phénomènes dynamiques où tous les niveaux sont convoqués à la fois – de rythmes.
1 H. Hubert et M. Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » (1904) dans M. Mauss, éd. 1950, p. 51.
2 M. Mauss, « La prière » (1909) dans OEuvres, to. I, p. 463.
3 M. Mauss, « Cours de 1922-23 » dans OEuvres, to. II, p. 261.
4 M. Mauss, « Les débuts de la poésie selon Gummere » (1903) dans OEuvres, to. II, p. 252.
5 H. Hubert et M. Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » (1904) dans M.Mauss, éd. 1950,
p. 126. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
6 M. Mauss, « La prière » (1909) dans OEuvres, to. I, p. 463. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences
sociales. JMT.]
7 M. Mauss, « Catégories collectives de pensée et liberté » (1921) dans OEuvres, to. II, p. 122.
8 M. Mauss, « Les débuts de la poésie selon Gummere » (1903) dans OEuvres, to. II, p. 254.
9 M. Mauss, « Divisions et proportions des divisions de la sociologie » (1927) dans OEuvres, to. III, p. 235. [Texte
disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
10 Comme le montre une lettre adressée à Caillois, Mauss n’adhérait par toutefois à la politique du rythme
qu’envisageaient certains des membres du Collège de Sociologie : http://www.rhuthmos.eu/spip.php?article101.
11 Il définit l’anthropologie comme « le total des sciences qui considèrent l’homme comme être vivant, conscient
et sociable » in « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie » (1924) dans M. Mauss, éd. 1950,
p. 285.
12 M. Mauss, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie » (1924) dans M. Mauss, éd. 1950,
p. 300. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
13 Dans le texte original, la virgule est placée ici, mais il est plus que probable que Mauss pensait dire « dans la
société, même quand nous étudions un fait spécial... ».
14 Cl. Lévi-Strauss, « Introduction à l’oeuvre de M. Mauss » dans M. Mauss, 1950, p. XXV.