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Sur les traces de Louis Valcke (1930-2012), professeur, philosophe, essayiste, cycliste, navigateur et pèlerin. Spécialiste mondial de l’œuvre de Pic de la Mirandole.
Suite à nos travaux de l’été sur les radicalités convergentes, nous avons fait nôtre le diagnostic de Laurent Alexandre, selon lequel «Le nouveau clivage n’est plus entre la gauche et la droite, mais entre les transhumanistes (les inconditionnels du choix individuel et du progrès technique) et les bioconservateurs.» Les diverses factions de gauche et de droite vont devoir tôt ou tard migrer vers l’un ou l’autre des nouveaux pôles. En France, José Bové a choisi le pôle du bioconservatisme en poussant la cohérence jusqu’à frapper d’un même rejet la manipulation génétique des plantes et les manipulations des embryons humains. Son ancienne gauche, qui place le choix individuel au-dessus la conservation de la vie, devra logiquement se rattacher au pôle transhumaniste, lequel propose de plus en plus de nouveaux choix.
L’Express du 5 novembre nous a rappelé que Jacques Attali prédit depuis longtemps un clivage semblable en France, ailleurs en Occident et même en Asie. (J’ai des réserves sur cet écrivain banquier partisan du multiculturalisme, je reconnais toutefois que dans cet éditorial, il pose le problème fondamental en termes clairs.)
«D’un côté, dit-il, les démocraties de marché, de l’autre le double vert. […] Comme toujours, c'est dans la rencontre de deux domaines apparemment sans relation que se trouve le neuf. Depuis longtemps déjà, j'annonce le moment où deux forces considérables, porteuses du meilleur et du pire, pourraient se rejoindre en une idéologie nouvelle, absolument explosive. Ce moment approche chaque jour davantage, comme le montrent les événements les plus récents.»
Jacques Attali fait ici allusion sans doute au projet de barrage du Tarn lequel a été arrêté, après avoir été l’objet d’une décision démocratique, par des manifestations rassemblant aussi bien des écologistes que des représentants de ce qu’il appelle la spiritualité. «Ces deux forces, dit-il, sont encore distinctes. L'une s'occupe de la protection de la nature, tant qu'elle existe ; l'autre de la protection de l'âme, si elle existe. L'une et l'autre ont en charge une certaine forme d'immortalité. L'une et l'autre sont éminemment respectables. L'une et l'autre sont menacées par le choix fait par l'humanité, et d'abord par l'Occident, de privilégier une valeur, celle de la liberté individuelle, contre toutes les autres, et d'en accepter les conséquences, notamment la priorité donnée à la croissance marchande, au caprice, à l'immédiat.»
«Face à cette tyrannie de l'instant, ceux qui défendent d'autres conceptions du monde empruntent de plus en plus des chemins voisins, pour l'instant parallèles. Avec, de plus en plus souvent aussi, les mêmes discours tenus et les mêmes moyens employés» (LI5 novembre 2014).
Dans cet article Jacques Attali n’attache pas assez d’importance à la religion de la technologie qui est au cœur du projet transhumaniste, lui-même devenu indissociable de la démocratie de marché. Il a toutefois le mérite de n’embellir ni une tendance, ni l’autre et de prendre la juste mesure des dangers associés à l’une et à l’autre : d’un côté les atteintes à la nature, à la vie intérieure, les inégalités croissantes et le glissement vers l’emmachination ; de l’autre une irritation, une indignation de plus en plus impatientes d’en découdre et qui risque fort de faire triompher une conception du bien commun autrement que par la discussion sur une agora !
Ce qui se produira si, toujours selon Jacques Attali, «les démocraties de marché ne réussissent pas à donner du sens à l'éthique, à préserver la nature, à restaurer les équilibres climatiques, à prendre en compte l'intérêt des générations futures.» Beau défi pour nos partis politiques sans vision et sans cohérence, occasion pour eux, comme pour chacun d’entre nous, de pousser un peu plus loin une cohérence sans laquelle aucun changement ne sera possible.
Pour le moment, le culte de la liberté individuelle demeure le premier critère aussi bien chez les écologistes les plus militants que chez les chrétiens les plus orthodoxes. Si vous mettez l’écologiste dans l’obligation de respecter la nature et le droit de recourir aux techniques de reproduction les plus artificielles, il choisira la seconde branche de l’alternative, même si dans les autres domaines il défend le respect de la nature, Bové étant une exception ! Si vous demandez à un chrétien de de l’Amérique anglo-saxonne de prendre position sur l’euthanasie, vous constaterez, sauf exception, que la liberté individuelle sera son ultime critère. Une chose qu’il juge en elle-même incompatible avec le respect de la nature deviendra bonne à ses yeux si elle correspond au choix de l’intéressé.
On pourrait donner mille autres exemples de principes qui s’effondrent devant le critère ultime : c’est mon choix ! Après s’être engagé officiellement en faveur du développement durable, le gouvernement du Québec s’est empressé de libérer des millions pour le maintien à Montréal de la Formule 1, l’un des événements au monde dont l’empreinte écologique est la plus élevée. Il est intouchable parce qu’il correspond au choix de la majorité des citoyens. Dans la même logique, tous, ou presque, nous nous empressons d’acheter des téléphones cellulaires et des tablettes dont nous savons qu’elles ne dureront guère plus de deux ans. Les plus solides convictions écologiques s’effondrent devant cette mode.
Une telle incohérence est en elle-même une forme inavouée d’impuissance. Tant qu’elle durera, l’actuelle démocratie de marché ne se heurtera à aucune résistance l’obligeant à des changements profonds, semblables à ceux que propose Jacques Attali.
«Il faudrait, par exemple, précise--t-il qu'en France, on donne aux actionnaires un droit de vote proportionnel à leur durée de détention des titres et que le Conseil économique, social et environnemental devienne une Chambre du long terme, ne rassemblant que des moins de 30 ans, parlant au nom des générations suivantes et dotée d'une compétence respectée.»
Voici, regroupés autour de chacun des grands pôles, une série d’éléments, faits, tendances ou valeurs, formant un ensemble cohérent. Libre à chacun de prendre la mesure de sa cohérence en se situant par rapport à ces deux pôles
Le pôle liberté individuelle
Mondialisation, choix individuel, tout à l’instant, croissance, consommation, obsolescence des objets, tout à la technologie, hétéronomie (médicalisation, atteintes à la vie privée), agriculture industrielle, procréation assistée où l’éthique est à la remorque de la technologie, intolérance à l’endroit des religions autres que celle de la technologie.
Le pôle bien commun
Enracinement (nationalisme et/ou régionalisme), coopération, sens du lointain temporel, autre croissance ou décroissance, attachement aux objets, préférence pour l’artisanat, autonomie, agriculture biologique, limites à la procréation artificielle et à l’éclatement de la famille, ouverture au sacré.